Néandertal et Cro-mignonne (France)
L’un des plus anciens feuilletons concoctés par les préhistoriens, Sex in the caverns, a connu une première partie de saison 2010 ébouriffante, avec un scénario surprise. Depuis l’origine de la science préhistorique, une énigme plane - pleine de sexe, d’interrogations philosophiques et phylogéniques - sur les deux stars incontestées de l’Europe d’il y a 30 000 ans : Cro-Magnon et Néandertal. La question loge à la fois dans le lit et le berceau : Ont-ils fait crac-crac ? Ont-ils produit des bébés fertiles ?
Si oui, autant l’avouer tout de suite, l’Homo sapiens du XXIe siècle devrait avoir encore un peu de Néandertal en lui, lové au cœur de son génome, sinon de son cerveau. Ce qui pourrait chiffonner l’amour-propre du commun des mortels apprenant qu’il est le lointain descendant de ce semi-homme, aux mœurs bestiales, musclé comme un ours, au museau avancé, au front bas et aux arcades sourcilières proéminentes, à la parole supposée frustre et doté d’outils rudimentaires. C’est cette hypothèse de «bestialité» qui fut alimentée par le paléoanthropologue Marcelin Boulle ou le dessinateur tchèque Zdenek Burian, dont les sculptures et peintures représentent une brute épaisse, à peine vêtue (super crédible vu le climat glacial de l’époque) et manipulant de grossiers épieux durcis au feu.
Depuis près d’un siècle, la question turlupine pourtant les spécialistes. Logique, car Néandertal (apparu il y a près de 400 000 ans dans une région allant du Moyen-Orient à l’Europe) croise Homo sapiens (qui sort d’Afrique il y a près de 100 000 ans) au Proche-Orient, puis lors de son arrivée en Europe (où Homo sapiens prend le nom de Cro-Magnon), il y a 35 000 ans, où ils vont cohabiter durant 10 000 ans.
Ce voisinage a-t-il pu se traduire par des rencontres ? L’affaire nourrit une abondante littérature romanesque qui oscille entre l’affrontement brutal et l’amour efficace - reproductif pour parler net - entre nos deux vedettes. Mais, si les romanciers possèdent toute licence pour violer l’histoire tant qu’ils lui font de «beaux enfants», les scientifiques, eux, doivent se plier à l’épreuve de la sainte preuve. Or, cette dernière s’est fait attendre très longtemps. Elle vient de compenser en apportant un rebondissement inattendu.
Beau gosse
Jusqu’au milieu des années 80, les préhistoriens avaient comme seule documentation les ossements fossiles des deux êtres et des traces de leurs productions techniques et culturelles - outils de pierre, ornements, gravures et peintures rupestres. Des os, il ressort que, dès l’irruption d’Homo sapiens, ce dernier se distingue nettement de son compère par son allure élancée, son front haut et plat, un squelette plus gracile, un torse plus cylindrique. Beau gosse donc, en regard du trapu et bas du front néandertalien. Pourtant, les spécialistes ès anatomies fossiles ne parviennent pas à s’accorder. Les uns y voient des différences interdisant d’imaginer le moindre croisement, d’autres y trouvent les traces d’un métissage possible. Du coup, le statut biologique des deux êtres reste trouble. Espèces séparées, génétiquement incompatibles, ou cousins germains capables de se reproduire entre eux ?
Du point de vue culturel et donc comportemental, l’affaire se révèle plus compliquée. En Palestine, il y a 80 000 ans, les outils de l’un et de l’autre ne diffèrent guère. Et Néandertal prouve qu’il a quelque chose entre les deux oreilles : n’ensevelit-il pas ses morts avec cérémonie, ornements et poussières d’ocre ? En revanche, lorsque Homo sapiens envahit l’Europe, c’est avec une technologie nettement plus avancée, usant de l’os finement ouvragé, tirant d’un même silex nombre de lames. Dès son arrivée dans la future France, il couvre la grotte Chauvet (Ardèche) de peintures et gravures hardies qui n’ont rien à envier à celles de Lascaux, 15 000 ans plus tard. L’écart culturel semble s’être irrémédiablement creusé. Au point d’empêcher l’échange de gènes ? Voire de provoquer l’extermination du plus faible ?
Liaisons passagères
Puisque l’anatomie et les traces de culture ne semblaient pas en mesure de départager les tenants de la séparation de ceux du métissage, allons chercher la réponse dans les gènes, propose, dès 1985, le Suédois Svante Pääbo. Les gènes ? Donc l’ADN des hommes actuels, celui des fossiles de néandertaliens et d’Homo sapiens fossiles. Facile à dire, délicat à réaliser. Mais on s’y met. En débutant par le moins compliqué : l’ADN mitochondrial, celui que chacun hérite de sa mère dans les mitochondries de nos cellules.
Longtemps, les résultats vont plutôt donner raison aux partisans de deux espèces séparées. Puis coup de tonnerre, le 7 mai. Dans la revue Science, une équipe internationale dirigée par Pääbo relate la comparaison du génome de plusieurs néandertaliens (grotte de Vindjia, Croatie) avec ceux d’hommes actuels. Bilan, Homo sapiens et Néandertal se sont croisés, mais peu : il y a 80 000 ans au Proche-Orient et pas en Europe! Une conclusion surprenante, dictée par cette observation : les eurasiatiques portent des traces de Néandertal, à la différence des Africains, mais des traces identiques chez le Papou, le Chinois et le Français.
No sex intergroupes in the cavernes périgourdines ? C’est l’explication la plus simple, mais ce n’est pas tout à fait certain, concèdent les généticiens. Un métissage épisodique, limité à quelques liaisons passagères entre Néandertal et Cro-mignonne, dont les traces auraient été effacées par la «vague néolithique», qui a vu les populations issues de la révolution agraire du Proche-Orient submerger les autochtones chasseurs-cueilleurs européens.
Romanciers et cinéastes peuvent donc continuer sans remords à creuser le filon. A l’instar de Jacques Malaterre, réalisateur d’Ao, le dernier Néandertal, qui sort le 29 septembre au cinéma, inspiré du premier volet de la trilogie (1) de Marc Klapczynski.
Read More: Liberation: http://www.liberation.fr/culture/0101647641-neandertal-et-cro-mignonne
L’un des plus anciens feuilletons concoctés par les préhistoriens, Sex in the caverns, a connu une première partie de saison 2010 ébouriffante, avec un scénario surprise. Depuis l’origine de la science préhistorique, une énigme plane - pleine de sexe, d’interrogations philosophiques et phylogéniques - sur les deux stars incontestées de l’Europe d’il y a 30 000 ans : Cro-Magnon et Néandertal. La question loge à la fois dans le lit et le berceau : Ont-ils fait crac-crac ? Ont-ils produit des bébés fertiles ?
Si oui, autant l’avouer tout de suite, l’Homo sapiens du XXIe siècle devrait avoir encore un peu de Néandertal en lui, lové au cœur de son génome, sinon de son cerveau. Ce qui pourrait chiffonner l’amour-propre du commun des mortels apprenant qu’il est le lointain descendant de ce semi-homme, aux mœurs bestiales, musclé comme un ours, au museau avancé, au front bas et aux arcades sourcilières proéminentes, à la parole supposée frustre et doté d’outils rudimentaires. C’est cette hypothèse de «bestialité» qui fut alimentée par le paléoanthropologue Marcelin Boulle ou le dessinateur tchèque Zdenek Burian, dont les sculptures et peintures représentent une brute épaisse, à peine vêtue (super crédible vu le climat glacial de l’époque) et manipulant de grossiers épieux durcis au feu.
Depuis près d’un siècle, la question turlupine pourtant les spécialistes. Logique, car Néandertal (apparu il y a près de 400 000 ans dans une région allant du Moyen-Orient à l’Europe) croise Homo sapiens (qui sort d’Afrique il y a près de 100 000 ans) au Proche-Orient, puis lors de son arrivée en Europe (où Homo sapiens prend le nom de Cro-Magnon), il y a 35 000 ans, où ils vont cohabiter durant 10 000 ans.
Ce voisinage a-t-il pu se traduire par des rencontres ? L’affaire nourrit une abondante littérature romanesque qui oscille entre l’affrontement brutal et l’amour efficace - reproductif pour parler net - entre nos deux vedettes. Mais, si les romanciers possèdent toute licence pour violer l’histoire tant qu’ils lui font de «beaux enfants», les scientifiques, eux, doivent se plier à l’épreuve de la sainte preuve. Or, cette dernière s’est fait attendre très longtemps. Elle vient de compenser en apportant un rebondissement inattendu.
Beau gosse
Jusqu’au milieu des années 80, les préhistoriens avaient comme seule documentation les ossements fossiles des deux êtres et des traces de leurs productions techniques et culturelles - outils de pierre, ornements, gravures et peintures rupestres. Des os, il ressort que, dès l’irruption d’Homo sapiens, ce dernier se distingue nettement de son compère par son allure élancée, son front haut et plat, un squelette plus gracile, un torse plus cylindrique. Beau gosse donc, en regard du trapu et bas du front néandertalien. Pourtant, les spécialistes ès anatomies fossiles ne parviennent pas à s’accorder. Les uns y voient des différences interdisant d’imaginer le moindre croisement, d’autres y trouvent les traces d’un métissage possible. Du coup, le statut biologique des deux êtres reste trouble. Espèces séparées, génétiquement incompatibles, ou cousins germains capables de se reproduire entre eux ?
Du point de vue culturel et donc comportemental, l’affaire se révèle plus compliquée. En Palestine, il y a 80 000 ans, les outils de l’un et de l’autre ne diffèrent guère. Et Néandertal prouve qu’il a quelque chose entre les deux oreilles : n’ensevelit-il pas ses morts avec cérémonie, ornements et poussières d’ocre ? En revanche, lorsque Homo sapiens envahit l’Europe, c’est avec une technologie nettement plus avancée, usant de l’os finement ouvragé, tirant d’un même silex nombre de lames. Dès son arrivée dans la future France, il couvre la grotte Chauvet (Ardèche) de peintures et gravures hardies qui n’ont rien à envier à celles de Lascaux, 15 000 ans plus tard. L’écart culturel semble s’être irrémédiablement creusé. Au point d’empêcher l’échange de gènes ? Voire de provoquer l’extermination du plus faible ?
Liaisons passagères
Puisque l’anatomie et les traces de culture ne semblaient pas en mesure de départager les tenants de la séparation de ceux du métissage, allons chercher la réponse dans les gènes, propose, dès 1985, le Suédois Svante Pääbo. Les gènes ? Donc l’ADN des hommes actuels, celui des fossiles de néandertaliens et d’Homo sapiens fossiles. Facile à dire, délicat à réaliser. Mais on s’y met. En débutant par le moins compliqué : l’ADN mitochondrial, celui que chacun hérite de sa mère dans les mitochondries de nos cellules.
Longtemps, les résultats vont plutôt donner raison aux partisans de deux espèces séparées. Puis coup de tonnerre, le 7 mai. Dans la revue Science, une équipe internationale dirigée par Pääbo relate la comparaison du génome de plusieurs néandertaliens (grotte de Vindjia, Croatie) avec ceux d’hommes actuels. Bilan, Homo sapiens et Néandertal se sont croisés, mais peu : il y a 80 000 ans au Proche-Orient et pas en Europe! Une conclusion surprenante, dictée par cette observation : les eurasiatiques portent des traces de Néandertal, à la différence des Africains, mais des traces identiques chez le Papou, le Chinois et le Français.
No sex intergroupes in the cavernes périgourdines ? C’est l’explication la plus simple, mais ce n’est pas tout à fait certain, concèdent les généticiens. Un métissage épisodique, limité à quelques liaisons passagères entre Néandertal et Cro-mignonne, dont les traces auraient été effacées par la «vague néolithique», qui a vu les populations issues de la révolution agraire du Proche-Orient submerger les autochtones chasseurs-cueilleurs européens.
Romanciers et cinéastes peuvent donc continuer sans remords à creuser le filon. A l’instar de Jacques Malaterre, réalisateur d’Ao, le dernier Néandertal, qui sort le 29 septembre au cinéma, inspiré du premier volet de la trilogie (1) de Marc Klapczynski.
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